MUNTILUPA : l'univers carcéral (1)

Par Bernard Pierquin

L'univers carcéral de Muntinlupa (1)

« Bernard, me fait signe Vangie, notre dynamique secrétaire, Mme le Juge Lopez veut te parler. Chaque fois, mentionner ce nom suffit à ramener le silence, quelque soit le lieu. Le personnage est de forte personnalité et en impose à tous. De par mon engagement auprès des enfants de la prison de Pasay, j'ai maintenant le bonheur de compter parmi ses proches.

« Bernard, m'invite celle-ci, je vais emmener le père Tritz à Muntinlupa, veux-tu et peux-tu nous accompagner ?». Le père Tritz, né en Lorraine, jésuite, a vécu en Chine puis aux Philippines, où il a enseigné et réside depuis maintenant une cinquantaine d'années. Interpellé par les statistiques sur le nombre d'enfants qui ne poursuivaient pas leurs études, il a créé ERDA, aujourd'hui l'une des plus grosses ONG des Philippines. Le père, a choisi de prendre la nationalité philippine et, à 85 ans, il reste encore le très actif président d'ERDA.

« Je lui ai demandé, à partir de son importante ONG, d'aider les enfants et les jeunes incarcérés à Muntinlupa», ajoute-t-elle. « D'accord, je n'y suis jamais allé et, comme vous le savez, je m'intéresse de plus en plus à la situation des enfants en prison», remercié-je.

Je me retrouve donc chez la femme juge à 8 heures, accompagné d'Eden et cette fois de Maritess, qui a nouvellement rejoint notre ONG et a en charge les programmes particuliers, extra éducation. Le petit déjeuner est copieux, l'ambiance à l'action. Il est près de 11 heures quand finalement tout le monde est arrivé : le Père Tritz et un travailleur social, puis un groupe de jeunes avocates appartenant au dernier projet d'aide juridique créé par le père Tritz, appelé Albert Schweitzer Association (ASA). Cela s'appelle gentiment l'heure philippine.

Après avoir traversé Muntinlupa, nous longeons tout d'abord la célèbre prison New Bilibid Prison, passons devant la dead chamber (chambre d'exécution : en effet, depuis 1994, la peine de mort a été rétablie aux Philippines), faisons tout d'abord une halte à la Half Way House.

Ce projet, créé par l'association des femmes juges et financé par le Japon, permet aux prisonniers sortants de se préparer à cette sortie. Le lieu d'accueil ouvert, conçu pour environ une trentaine de prisonniers, propose quelques ateliers et un accompagnement sur 3 mois.

Lorsqu'on est accompagné de Mme la Juge, il est plus facile d'entrer à Sampaguita, la section de la prison qui accueille les jeunes. Nous ne sommes même pas fouillés. Un prisonnier nous dirige vers les salles de classe. La prison propose un niveau de cours élémentaire, collège, et universitaire. Ces cours sont donnés par des enseignants venant d'une université extérieure.

Là encore, tout a été prévu et organisé au mieux, malgré une légère déstabilisation due à notre somptueux retard. Un spectacle d'une heure est donné par les jeunes prisonniers : chants, chorale, pièce de théâtre mettant en scène leurs propres "mauvaises actions", leurs sincères repentirs et une farouche volonté de se racheter par une bonne conduite une fois dehors.

C'est le père Tritz qui donnera les premiers remerciements et encouragements, suivi du juge Lopez et de moi-même qui, comme message d'espoir, leur ai cité la maxime reprise par Alouette Foundation dans tous ses documents et pour l'occasion, intentionnellement un peu déformée : « il y a toujours un moment dans la vie où la porte s'ouvre et laisse entrer le futur, bon chemin de vie » (Graham Greene).

ERDA a distribué ses cahiers produits dans leurs ateliers et Alouette Foundation a partagé des shampooings et vitamines que nous avons encore en grande quantité. Quelques prisonniers nous attendaient avec les « bateaux en bouteilles », cartes de Noël et autres objets construits pour passer le temps et glaner quelque argent.

Nous sommes ensuite retournés à la Half Way House, où à 15 heures, nous avons partagé un copieux repas, un de plus.

Deux mois, plus tard, juge Lopez me rappelait : « Brother Bernard, je dois intervenir à Sampagita au cours d'un séminaire organisé par ASA. Objectif : former des leaders positifs au sein des jeunes prisonniers.»

Cette expédition s'effectue sur le même modèle que la précédente, mais, cette fois, je me fait confisquer l'appareil photo que j'avais maladroitement laissé dans un sac.

Parmi ces jeunes prisonniers se trouve le plus jeune de tous, il n'a que 13 ans et est condamné à la lourde peine de 17 ans d'emprisonnement. Là encore, les jeunes participent avec tout leur cœur. Là encore, les discours s'enchaînent où chacun s'ingénie à regonfler d'espoir ceux pour qui les portes de le vie ne s'ouvriront que dans des temps lointains, tellement lointains qu'il est leur impossible d'imaginer qu'il puisse venir un jour.

Le retour s'effectue de même : repas à la Half Way House et grande partie de rigolade dans le van qui contient une dizaine de personnes : Mme la juge, comme à chaque fois que nous nous retrouvons, s'évertue à énumérer ses connaissances et les personnes présentes non mariées comme de potentielles épouses pour un brother français inexplicablement célibataire à son âge.